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Markind 55 Cancri Ombres - Premiers chapitres

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Markind 55 Cancri Ombres Philippe RUAUDEL

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Copyright © 2022 Philippe Ruaudel www.markind.fr Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5 (2° et 3° a), d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Tous droits réservés. ISBN : 9798848448245

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Surveillez l’ombre qui vous précède, vous prenez son chemin.

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DU MEME AUTEUR Romans Lignée Markind 55 Cancri Markind 55 Cancri Vaisseau mère Markind 55 Cancri Ombres Lignée Epsilon Eridani Markind Epsilon Eridani Poussières Lignée Fomalhaut Markind Fomalhaut Eaux troubles Nouvelles Markind Moments Entrepôt Markind Archives Mécatombes

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TABLE DES MATIÈRES Remerciements i 9 Chantier 103 Avant-propos iii 10 Avenir 113 Introduction 1 11 Ensemencement 124 1 Recherches 7 12 Pouvoir 133 2 Puits 21 13 Tête 146 3 Effondrement 31 14 Passé 161 4 Rébellion 41 15 Échanges 172 5 Loi 52 16 Poison 185 6 Recueillements 65 17 Conflit 198 7 Foyer 80 18 Flotte 208 8 Aurores 94 19 Destin 217

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i REMERCIEMENTS En écrivant ces quelques lignes, je me remémore l’ensemble de ceux qui m’ont soutenu dans cette belle aventure qu’est l’écriture. Je n’oublierai jamais mes premiers lecteurs dont les retours ont chassé les doutes et les peurs des premiers instants. Une tendre pensée à ma mère dont l’avis aiguisé prime toujours. Merci à mon épouse, sans qui le manuscrit serait encore en phase corrective. Merci à la ville de Dieppe qui m’a offert, sans retenue, un espace de liberté.

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iii AVANT-PROPOS Dans l’état des connaissances scientifiques de l’humanité du XXIème siècle, il existe entre deux cents et quatre cents milliards d’étoiles dans notre galaxie, la Voie lactée. On y dénombre un minimum de cent milliards de planètes gravitant autour de ces astres. Pour certains, ce sont autant de lieux à scruter, à étudier et à cartographier en y posant des sondes. Pour d’autres, ce sont autant de terres où poser le pied. Pour moi, humble auteur, ce sont autant de mondes où poser mes mots. L’univers devient un terrain de jeu idéal pour développer des intrigues, placer mes personnages dans des situations incroyables et créer des êtres fantastiques. Les aventures de la saga Markind s’étaleront dans le temps et l’espace, comme lui, sans limite. Là où l’œuvre de ma plume se stoppera, l’imaginaire d’un d’entre vous la prolongera. Ensemble, emplissons de nos rêves l’immensité interstellaire.

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1 INTRODUCTION Chaque endroit de la Terre, le berceau de l’humanité, a été conquis, scruté, modifié, répertorié. Puis l’Homme a logiquement lancé son dévolu sur les astres qui le narguaient depuis des millénaires dans les cieux. Pleine d’arrogance, l’humanité a dépensé sans compter en chair, en monnaie, en ressources nécessaires pour combler son appétit. En 2120, elle peut se targuer d’annoncer que l’on naîtra désormais autre part que sur la Terre ou sur son orbite. Mars devient un nouveau berceau. Elle devient également un nouveau champ de bataille où les nations mourantes sont supplantées par les firmes terriennes les plus puissantes, ayant même perdu leur caractère multinational. Planter un drapeau pour revendiquer une possession est totalement désuet. Ce qui prime est, sous couvert d’universalité, de disposer de la gestion d’une ressource ou de sa distribution. Les générations d’humains se succèdent parfois dans la souffrance et les difficultés d’avoir quitté le si doux cocon terrien. Cependant, l’humanité s’adapte socialement aux contraintes de la vie martienne. Au

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Markind 55 Cancri Ombres 2 XXIVème siècle apparaît l’Homme de Mars. Né d’on ne sait où, le terme est attribué à un éditorialiste terrien qui l’utilise dans un beau papier, après un séjour en immersion dans les centres de vie commune martiens. En soi, rien de bien différent, comparé aux Terriens. Rien, physiquement parlant au départ, puis cette fraction de l’humanité invente et utilise « l’humaniformation », une technique de bioingénierie avancée. Désormais, après avoir adapté la société et les esprits, on forge la chair pour vivre sur Mars. Les Terriens abhorrent cette technique. La pression terrienne s’accentue de plus en plus sur ces femmes et hommes descendants des premiers colons, rejetés. Pour les Terriens, il s’agit d’un nouvel Âge d’or. Les ressources, issues de l’exploitation de la ceinture d’astéroïdes principale, font de Mars un lieu de négoce incontournable. En parallèle, la terraformation de Mars engloutit les fortunes, les ressources pour faire oublier le terme de « planète rouge ». On la rêve bleue, verte, terrienne. Les Hommes de Mars, descendants des esprits les plus aiguisés et téméraires, ne partagent pas ces mêmes idéaux. Ils ont gardé le souvenir de l’impact de l’Homme sur son berceau, que beaucoup souhaitent fuir. Les tensions s’accroissent au fil des générations. Jusqu’au XXVIIIème siècle, les émeutes se succèdent. Elles sont réprimées durement par les Terriens. Les Hommes de Mars courbent l’échine. Ils rêvent. Ils s’imaginent affranchis. Affranchis des desiderata terriens. Ils comprennent que leur avenir n’est pas terrien, pas martien. Il est humain. Il leur faut un nouveau berceau. Mais pour renaître, il faut un nouvel ensemencement. Dans l’ombre des Terriens, cette fraction de l’humanité imagine, cogite, invente. Enfin, un événement fortuit, la découverte des bulles de Lemer, leur permet de

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Markind 55 Cancri Ombres 3 créer un outil qui les amène à fendre le tissu interstellaire. Des années plus tard, le premier markind voit le jour. Il emmènera une première lignée d’humains vers un avenir incertain, mais offrant plus d’espérance. Ne faisant pas table rase du passé et pour ne pas répéter ses erreurs, la mémoire humaine prendra part au voyage. Œuvre secrète d’une branche des Hommes de Mars, les archivistes, l’Encyclopedia Humanis représente le passé cultivé des humains. Une première lignée humaine comptant trois cents membres d’équipage et futurs colons s’élance dans l’obscurité de l’espace en quête de la lumière d’une nouvelle étoile, 55 Cancri-A du système 55 Cancri, pour germer. Pour leur plus grand bonheur, ils parviennent à destination et peuvent ensemencer leur nouveau monde : Harriot-a, un satellite naturel de la géante gazeuse 55 Cancri-f, appelée Harriot, dans la nomenclature terrienne. Au XXXIIème siècle, une nouvelle lignée Epsilon Eridani voit le jour avec le départ du deuxième markind, depuis Harriot-a, vers le système Epsilon Eridani. Après avoir ensemencé, avec succès, la planète Daucus, le Markind Epsilon Eridani, chargé de rêves et d’espoirs humains, se dirige vers le système Saruan, six cents ans plus tard. Bien plus tard, la troisième lignée quitte Harriot-a avec pour objectif le système ternaire Fomalhaut. Le Markind perce le tissu interstellaire pour découvrir les planètes océans qui gravitent autour des trois étoiles. Sur Parelas-d, où la lignée 55 Cancri tente de s’enraciner durablement, l’ère de l’ensemencement laisse place à celle des cultivateurs. Une période où la société humaine cherche sa voie. Des centaines d’années après l’arrivée du Markind 55 Cancri et son chaotique destin,

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Markind 55 Cancri Ombres 4 les Hommes-ombres, symbiose entre les premiers colons humains et l’entité Parelia, restent enfouis dans les entrailles de la planète. De leur existence, il ne reste que les archives et les histoires, remplissant les têtes des plus jeunes de contes et de mythes fantastiques.

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7 1. RECHERCHES La lumière blanche et diffuse de l’affichage du pupitre emplissait la petite salle. Les teintes des murs et du plafond se mouvaient, cadencées par les éléments qui s’y dévoilaient. Ce linceul blanchâtre semblait recouvrir les deux têtes sombres qui étaient absorbées par le savoir qui se livrait à eux. Le silence régnait dans cet endroit interdit. Recroquevillées, les deux silhouettes immobiles tâchaient de ne pas se faire remarquer, du moins, le plus tard possible. Les affichages continuaient leur rythme soutenu, ponctué par de brefs arrêts. Puis au bout de quelques secondes supplémentaires, elles ralentirent. « Stop. Arrête-toi. Reviens en arrière. Ça doit être dans cette section. Tu vas trop vite, indiqua tout bas la première silhouette sombre à droite. — T’es sûr ? On y est déjà passé, répondit la seconde, incrédule. — Ah, tu m’énerves. Pas celle-là. Celle-ci juste au-dessus. — Bien vu. Je ne l’avais pas remarqué. — Quand je te dis que tu vas trop vite. Vas-y, ouvre », s’impatienta la première silhouette.

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Markind 55 Cancri Ombres 8 Le silence revint. Cette fois-ci, la luminosité restait fixe en suspendant la salle dans le temps. Les deux têtes ne bougeaient plus. Ils avaient enfin trouvé ce qu’ils étaient venus chercher. Les deux adolescents accédaient enfin aux réponses et à une confirmation : les Hommes-ombres n’avaient jamais disparu. En catimini, les deux jeunes éteignirent le pupitre. L’excitation était à son comble. Pourtant, ils retenaient leur joie. Ils la laisseraient exploser une fois sortis du bâtiment abritant l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri, appelée aussi Humania. Une formidable base de connaissance compilant tout le savoir humain. Ici, sur Parelas-d, troisième planète du système stellaire Parelas, l’humanité s’était fortement ancrée, non sans mal. L’arrivée des trois cents premiers colons remontait à des siècles. Si ces débuts n’avaient pas été consignés dans l’Humania, des théories plus ou moins fantaisistes auraient expliqué les origines humaines sur cet astre. D’ailleurs un passage était fréquemment étudié par les plus jeunes générations, celui d’un archiviste, Celet. Ce membre des cent premiers colons relatait si précisément les premiers temps de l’humanité sur cette planète que l’on aurait pu presque les vivre rien que par l’imagination. Les archivistes représentaient toujours une classe de la population qui se démarquait. Intégralement masculine, cette caste gardait jalousement les différents lieux de savoir présents sur ce corps céleste et se plaçait toujours près des centres de pouvoir. Ce soir-là, les deux jeunes avaient réussi à déjouer la vigilance de l’un d’entre eux pour accéder à une section non publique du bâtiment. Une fois la porte de la salle refermée, les deux silhouettes s’engouffrèrent dans un premier couloir. Ils décidèrent de ne pas filer directement par la sortie, mais de passer par une partie du petit complexe dédiée à la scolarité. Le stress tenait toujours fermement leur envie

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Markind 55 Cancri Ombres 9 de fêter leur découverte. Seul un léger sourire pouvait laisser transpirer leur joie. Soudain, à l’angle opposé, une voix tonna. « Vous deux ! Que faites-vous ici ? » Ils reconnurent aussitôt le timbre fluet qui était poussé dans ses retranchements pour tenter d’imposer une certaine autorité. Il en résultait un effet comique qui fit disparaître leur peur. En quelques secondes, l’homme arriva à leur hauteur. « Zack et Josh ? Habituellement, vous ne me posez pas de soucis, vous deux. Je m’attendais plutôt à voir deux autres. Que faites-vous ici ? les interrogea-t-il de nouveau. Zack avait beau être plus âgé que Josh, c’est ce dernier qui prit la parole. Lentement, tout en fixant l’archiviste leur faisant face, il leva un sac devant lui. « J’avais oublié ça cet après-midi. — Et ça ne pouvait pas attendre demain ? — Non, répondit sans détour et avec fermeté Josh. Zack prit à son tour la parole. — Vous savez, instructeur, mon frère et moi nous avions prévu de réaliser… L’instructeur l’arrêta dans ses vaines explications d’un simple geste de la main. — Je ne veux pas le savoir. De toute façon, à cette heure, vous n’avez rien à faire ici. Vous avez de la chance que je n’ai pas encore verrouillé toutes les sections publiques », coupa-t-il d’un ton sec. L’archiviste pensa qu’il n’avait pas intérêt à faire durer ce moment. S’il n’avait pas autant tardé à vérifier les lieux et à fermer les accès, ces deux adolescents ne seraient pas devant lui. « Suivez-moi. » Les deux frères s’exécutèrent sans rechigner, bien heureux que l’affaire s’en tienne à ce point. Arrivés à la porte principale et après avoir récupéré tous leurs effets personnels, l’archiviste referma la porte d’entrée du

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Markind 55 Cancri Ombres 10 bâtiment abritant l’Humania derrière eux. Ils ne prirent pas la peine de se retourner. Ils devinaient le regard sombre que l’archiviste leur avait lancé. Tout en retenue, ils dépassèrent quelques habitations avant de sauter de joie autour de la fontaine qui trônait sur une des petites places de leur cité nommée Diop. Josh s’arrêta et se rapprocha de son grand frère. « Zack, remontre-le-moi. » Sur le fin écran de son pupitre d’information mobile, plus communément appelé PIM, le reste des doutes s’effaça aussitôt de leurs esprits bouillonnants. La silhouette noire captée en plein jour semblait absorber la lumière. Il s’agissait bien d’un homme, du moins il en avait la forme. En grossissant l’image, on remarquait que les contours s’étaient estompés. Du crâne lisse aux mains en continuant vers les membres inférieurs, tout laissait croire que l’on observait une ombre. Les deux frères en avaient déjà scruté de nombreuses images ou des vidéos. Mais elles dataient toutes d’une période ancienne, révolue. Celle qu’ils observaient avait la particularité de ne dater que de quelques jours. Un autre paramètre attirait leur attention : le lieu de la prise de vue. Ils avaient les coordonnées exactes du puits parélien. Un nouveau défi se dressait devant eux : s’y rendre seuls. Depuis leur plus jeune âge, Josh et Zack Reigh s’étaient entichés des fameux Hommes-ombres. Leurs parents leur avaient rapporté, tout comme d’autres adultes à leurs enfants, les prouesses dont ils étaient capables. Ainsi de nombreuses comptines et petites histoires naquirent de la créativité débordante de certains. Il existait bien des histoires passionnantes de personnages incroyables tirées du passé lointain, terrien, martien ou harriotien. D’autres grandes personnes évoquaient avec nostalgie les contrées bauriennes dont les trois cents premiers colons provenaient. D’autres encore contaient,

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Markind 55 Cancri Ombres 11 avec une justesse appliquée et un devoir de mémoire, les horribles moments d’Ition-g et des monstres mécaniques qui avaient ravagé les premiers pas de l’Homme sur cet astre. Ainsi les parents n’hésitaient pas à invoquer le MART-MKD, ce terrible robot tactique autonome issu des usines TerMarTer qui pouvait en quelques secondes se défaire de n’importe quelle menace. Le résultat était toujours le même : les enfants s’empressaient de faire ce qu’on leur demandait. Tous ces contes et ces mythes mettaient en scène les Hommes-ombres comme des êtres salvateurs, émerveillant les enfants et se prolongeant dans l’inconscient des adultes. Ils terrassaient d’un simple geste les terribles menaces mécaniques. Ils sortaient de situations délicates leurs héros préférés. Une chose venait ancrer profondément leur attachement à ces entités surpuissantes : ils avaient réellement existé et vivaient toujours reclus dans les entrailles de Parelas-d. Certains personnages prévalaient à leurs yeux. Nil, celui qui tombait toujours à pic. Phel, le sage menant les humains sur la bonne voie. Trabo, qui mettait un point d’orgue à faire naître l’amitié. Les Hommes-ombres habitaient ainsi à leurs côtés, et ce dès leurs premiers instants, avec le signe de Lekia qui ornait le cou des nouveau-nés. Bien entendu, d’autres entités paréliennes étaient célébrées régulièrement. Ainsi, les humains continuaient en grande majorité à respecter ceux qui dormaient sous leurs pieds, attendant leur éveil. Trois jours avant leur incursion dans le bâtiment de l’Humania, Zack et Josh avaient écouté religieusement une de leurs jeunes connaissances. Elle leur avait appris que l’un de ses parents, travaillant dans un complexe minier plus au nord, durant une excursion vers un puits parélien, avait croisé un Homme-ombre au crépuscule. À son retour, il fut aussitôt convoqué par les archivistes de la petite ville et l’on disait même qu’une personnalité de

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Markind 55 Cancri Ombres 12 Vard, la ville principale et le cœur politique de Parelas-d, s’était dépêchée sur place. Mais ces histoires de grands et les luttes de pouvoir qui s’y dessinaient n’intéressaient guère les deux adolescents. Simplement, savoir qu’un Homme-ombre évoluait à proximité alluma un véritable brasier dans leur jeune cerveau. Évidemment, en peu de temps, les deux esprits bouillonnants trouvèrent un moyen pour atteindre leur objectif : découvrir le lieu précis et les prises de vue d’un de ceux qui peuplaient leur imaginaire. Après une courte nuit agitée et remplie de l’impatience de la jeunesse, les deux frères s’engagèrent à obtenir le droit d’utilisation d’une petite navette. La chose s’annonçait difficile, mais pas impossible. La majeure partie des déplacements s’effectuaient sur des navettes d’envergures différentes selon leur rayon d’action et le nombre de passagers. Il existait bien des grands axes, de larges voies empruntées pour le transport des biens et des matières premières. Mais elles reliaient essentiellement les centres urbains distants de plusieurs centaines, voire des milliers de kilomètres. Par exemple, Vard se situait près de l’équateur parélien à des milliers de kilomètres de Diop. Ainsi, les navettes restaient pour les humains de Parelas-d, le mode de transport le plus usité. Leur capacité énergétique était impressionnante, une simple navette biplace permettait de faire plusieurs milliers de kilomètres et bien plus avec des réserves supplémentaires. En outre, l’absence de réel danger, mis à part le fait de se perdre dans des contrées aussi désertiques, laissait le champ libre aux jeunes. En effet, Parelas-d n’avait aucune faune ou flore qui exposerait à un danger quelconque. En cas de problème, les systèmes de vol automatiques s’activaient et les ramenaient au bercail. Zack et Josh s’affairèrent toute la journée à trouver, non l’autorisation, mais la justification de l’utilisation

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Markind 55 Cancri Ombres 13 d’une petite navette. Zack savait piloter depuis quelques années et avait obtenu son accréditation l’année précédente. Josh, quant à lui, devait faire preuve de ses capacités pour obtenir le précieux sésame dans l’année. Ils savaient également qu’ils devraient déclarer un plan de vol général aux autorités de la ville. L’idée apparut dans l’esprit de Zack durant sa session d’apprentissage. Plus précisément durant le long monologue enregistré d’un certain Tomas Sverson, responsable d’un complexe minier. Il y était question de la mise en œuvre d’un nouveau processus d’extraction sur le site d’exploitation d’une ressource dont Parelas-d regorgeait : la comite. Il s’agissait d’un minéral aux propriétés naturelles supraconductrices exceptionnelles. Sur la planète de leurs ancêtres, les premiers colons, Baure, la comite avait révolutionné l’électronique et permit des avancées fabuleuses. Mais elle s’y faisait rare, au contraire de Parelas-d. Une partie du cours, montrant les applications et les innovations qui découlaient de leur exploitation, fut difficilement suivi par Zack, l’esprit en effervescence, occupé par un bien autre objectif. À leurs retrouvailles en fin de journée, Zack exposa son idée à son frère. « T’es sûr que ça va le faire ? demanda Josh. — Écoute. Je vais leur expliquer que je veux absolument voir ce site d’extraction. On y passera une nuit. Et surtout… — Quoi ? Mais, ils ne vou… — Rahh, laisse-moi finir ! Toi et ta manie de couper la parole, le reprit Zack. Et surtout, le site se trouve à quelques dizaines de kilomètres du puits. — Aaaahhh… Ouais… Euh, par contre… — Attends, l’interrompit de nouveau Zack. En gros, on y va dans deux jours. Je fais un petit topo sur le site de comite. On va au puits. Et on retourne dormir dans un des dortoirs du site.

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Markind 55 Cancri Ombres 14 — Zack. Je pourrais piloter un peu ? — Bah oui évidemment. Pas de pilotage auto. — Cool ! », ajouta Josh, s’imaginant déjà aux commandes de la petite navette. Sans surprise, le plus ardu fut de convaincre leurs parents, Malia et Sven Reigh. Mais devant l’insistance de l’aîné, appuyé par son frère, ils cédèrent. Zack étonna ses parents sur la prise d’initiative dans l’établissement du plan de vol, la réservation de la petite navette et la prise de contact avec le site d’exploitation minière. Il avait même réussi à échanger, longuement, avec le responsable. Ce dernier était ravi de voir s’intéresser deux jeunes à une activité qui, à première vue, n’était pas si attractive. Zack eut d’ailleurs du mal à stopper le responsable du site qui vantait les dernières améliorations du traitement des déchets d’extraction. Ils permettaient un gain de six pour cent de comite brute. De quoi, selon lui, mettre son site dans les trois principaux de Parelas-d. Après cette victoire sur les adultes, c’est donc plein d’excitation que Josh alla se coucher, se rêvant à survoler les contrées nordiques de leur planète. Zack, lui, espérait rencontrer cet Homme-ombre et toucher du doigt les mythes et légendes de son enfance. Le décollage depuis la plateforme des navettes était totalement automatisé. Les deux frères assis côte à côte ressentaient une tension particulière. Ils écoutèrent et acquiescèrent au rythme des sermons parentaux que le pupitre leur retransmettait. Quelques minutes plus tard, une fois sortie de la zone de transit, la navette proposa l’option de conduite semi-manuelle. Zack, tout en souriant à son petit frère, l’activa. Il n’y eut pas de secousses. Il prit un peu d’altitude pour offrir à Josh une vue imprenable sur les paysages ondulés paréliens. Des siècles auparavant, Parelas-d avait offert aux premiers colons un visage tout autre que celui qu’ils

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Markind 55 Cancri Ombres 15 pouvaient observer une fois arrivés en orbite. Depuis leur planète d’origine, Baure, les premières analyses avaient montré une planète aux promesses fabuleuses : une atmosphère respirable, de l’eau en abondance, de larges portions de terrain émergées, de profonds océans, des températures clémentes sur la majeure partie de l’astre. Malgré tout, une petite phase d’humaniformation était nécessaire pour préparer les corps à une gravité un peu plus importante et à une atmosphère à la constitution différente. En somme, rien d’insurmontable pour cette part de l’humanité ayant relevé tant de défis. Et ce, depuis le départ des premiers Hommes de Mars de la quatrième planète du système solaire. Pourtant, dès l’arrivée du vaisseau mère, le Markind 55 Cancri, transportant les trois cents premiers colons, Parelas-d révéla, en dehors des deux zones polaires glacées, une surface rouge, aride et de vastes zones sombres uniquement constituées d’une forme d’algue d’un noir profond. Les deux frères survolaient de rares endroits qui avaient fortement évolué. L’eau avait refait son apparition. Une flore et faune avaient été patiemment recréées. Ces dernières faisaient la fierté des biologistes paréliens. Recréer les écosystèmes avait été et continuait d’être un défi de chaque jour. Ainsi, la planète, par de timides et discrètes touches, retrouvait au fil du temps des couleurs qu’elle avait pu avoir en des temps bien plus anciens. Le rouge laissait la place au vert, au bleu, des couleurs signes de vie pour l’humanité. Certaines zones devenaient ocre, démontrant que le vivant reprenait peu à peu du terrain. Mais tout cela était fragile, les assauts des bouffées énergétiques envoyées par l’étoile Parelas, même amoindries par la puissante magnétosphère parélienne, venaient faucher les plus frêles plantes et animaux. Le cœur de Josh battait fort tout en manœuvrant la

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Markind 55 Cancri Ombres 16 navette. Il s’essaya à quelques exercices de vol. Puis une fois son envie contentée, il s’assagit. En pointant certains endroits de l’horizon, Zack indiqua à plusieurs reprises les puits paréliens qui étaient à proximité. Ces cavités variaient en tailles, certaines étaient si grandes que l’on pouvait les voir depuis l’espace. Cependant, toutes présentaient un intérieur d’un noir profond, signe de la présence des algues. En arrivant à proximité du site d’extraction de la comite, l’ancienne Parelas-d régnait. Le sol tirait sur des teintes rougeâtres. Zack récupéra les commandes et effectua une rapide montée qui afficha un sourire sur le visage de son frère. Cherchant du regard et vérifiant en même temps sur le pupitre, il confirma la présence du puits parélien qui les intéressait tout particulièrement. Mais le moment n’était pas venu, bientôt le régulateur d’approche du site leur demanda de basculer en commandes automatiques pour rejoindre la plateforme des navettes. Ils s’exécutèrent sans manifester de mauvaise volonté afin de ne pas écorcher leur image dès leur arrivée. Être archiviste offrait un statut particulier, qu’on le veuille ou non. Cette fonction était exclusivement masculine. Pour d’obscures raisons, les rares phases d’humaniformation qui avait été menées s’étaient toutes, sans exception, terminées très mal pour les sujets féminins. Ainsi, en désespoir de cause, les femmes avaient été écartées définitivement de la fonction d’archiviste. Outre la gestion de l’Encyclopedia Humanis 55 Cancri, appelée plus communément Humania, ils impressionnaient par une faculté surhumaine. Les archivistes détenaient une mémoire eidétique surdimensionnée. Les moindres détails des événements d’un jour, d’une semaine, s’inscrivaient profondément en eux, avant d’être retranscrits dans l’Humania. Alban Romani faisait partie de cet ordre depuis son

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Markind 55 Cancri Ombres 17 plus jeune âge. En effet, les résultats de ses analyses génétiques confortèrent ses parents à lui faire prendre cette voie. Plus tard, avant l’âge adulte, il décida de recevoir l’humaniformation, un choix lourd de conséquences, car irréversible. De fait, il ne l’avait jamais regretté. Depuis ses études et sa formation à Vard, il avait montré des capacités tout juste moyennes. En accord avec celles-ci, il avait été affecté à une cité de moyenne envergure, Diop. Il y pratiquait l’instruction des jeunes Dioppois. Comme à l’accoutumée, Romani devait libérer sa formidable mémoire par la délivrance. Ainsi tous les moments vécus dernièrement rejoindraient l’immense base de savoir humain. C’est après cette séance que l’archiviste repensa aux deux jeunes qu’il avait priés de quitter les lieux. Une intuition le mena à reconsidérer leur présence. Auparavant, il devait s’astreindre à sa séance de recoupage et de validation mémorielle de ses semblables. En parcourant les mémoires d’un de ses confrères, il fut saisi par l’évocation des deux mêmes jeunes ayant surpris une conversation. Il fit le lien aussitôt et arrêta sa séance. Il vérifia les registres de consultation des informations sensibles. Une sueur froide lui parcourut l’échine quand la confirmation tomba. Il avait failli dans sa mission. Tout ce qui tenait récemment aux Hommes-ombres ne devait pas se diffuser dans le grand public. Du moins, pas sans l’accord des centurions archivistes de Vard. Zack et Josh avaient feint assez longtemps l’intérêt qu’ils prêtaient aux explications détaillées du responsable du site d’exploitation de la comite, Tomas Sverson. D’ailleurs, les termes techniques commençaient sérieusement à leur donner des maux de tête. Pour couper court au monologue qui aurait pu durer encore plusieurs heures, Zack reprit à la volée l’évocation de ladite roche pour tenter d’orienter la discussion sur un sujet plus

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Markind 55 Cancri Ombres 18 avenant. « La comite a été reconnue comme une ressource indispensable pour notre développement technologique, mais j’ai cru comprendre que les Hommes-ombres et toutes les entités liées à Parelia en dépendent. Peut-être qu’une exploitation trop importante pourrait leur nuire ? À cette question, les deux frères sentirent le regard du responsable plein de bonhommie prendre une tournure plus sévère. — De toute façon, ça, c’est à Vard que ça se décide. Et puis si on leur nuisait tant que ça, les Hommes-ombres seraient déjà intervenus. Josh sauta sur l’occasion. — Justement, Zack et moi, on a entendu dire qu’un Homme-ombre avait refait surface… Tomas Sverson marqua un silence gêné en regardant les deux adolescents. — Nous ne les dérangeons pas. C’est tout ce que je peux vous dire. Puis, enchaînant directement sur un autre sujet, il leur fit signe de le suivre. — Vous allez voir LA spécificité de ce site. Celle qui fait la fierté de notre décurion ingénieur que je vais vous présenter », commenta-t-il tout en se dirigeant vers un grand pupitre affichant de belles illustrations. Zack haussa les épaules et fit un léger mouvement de la tête pour inviter son frère, las de la visite, à faire encore un petit effort. Tout d’abord étonné par leur requête, le responsable de la plateforme des navettes accepta le départ du petit engin des deux jeunes. Ils avaient prétexté un survol tardif de la zone pour mieux se rendre compte de l’isolement du site d’extraction, et ainsi, ajouter des clichés inédits à leur travail avec des effets de lumière incroyables. Effectivement, le site semblait scintiller déjà dans la nuit

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Markind 55 Cancri Ombres 19 tombante de Parelas-d. De plus, de sublimes aurores polaires striaient les cieux. Zack et Josh avaient déjà pu accéder à ce magnifique spectacle des particules stellaires rentrant en contact de la magnétosphère de leur planète. Mais il semblait que ce lieu était particulièrement propice à leur observation. Après avoir suivi le protocole de dégagement obligatoire et récupéré les commandes semi-manuelles, Zack regarda Josh avec un grand sourire. « On y va ? demanda Josh en regardant son frère qui sembla hésiter un instant. — Ouais. On y va, lui répondit-il. — Tu penses qu’on va le voir ? — J’en sais rien. On verra bien sur place. — Moi, je pense que oui. J’aimais bien le truc sur une ombre qui aimait les aurores, se souvint Josh. — Quoi ? La vieille histoire que maman nous racontait ? C’était pour t’endormir, Josh. Tu passais toujours des plombes à te coucher. — C’était peut-être vrai, lui répondit son petit frère avec un ton plein d’espoir. — De toute façon, on verra bien sur place », termina Zack en lançant plus de puissance dans le moteur principal de la navette et en la faisant plonger vers le fameux puits parélien. En quelques minutes, il repéra une zone parfaite pour se poser. La procédure automatisée s’occupa du reste. Ils sentirent à peine les récepteurs toucher le sol. Dans ces latitudes élevées, la nuit fraîche les obligea à s’équiper un peu plus chaudement qu’à l’accoutumée. Ils se munirent également de tous les ustensiles nécessaires à leur petite escapade. Zack désigna du doigt une légère butte qui leur offrirait une bonne vue dégagée de la zone. Une fois installés et le cœur battant à faire vibrer leurs tympans, ils allumèrent les lunettes et les ajustèrent pour augmenter la

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Markind 55 Cancri Ombres 20 luminosité alentour. Cette technologie était désormais très performante et tirait parti des aurores dont la faible lumière semblait éclairer de pleins feux la zone sur des kilomètres à la ronde. L’épaule de Zack bougea à plusieurs reprises sous les coups de son frère. « Quoi ? Arrête. Tu me fais bouger. Je dois me recaler à chaque fois… » Le grand frère rejoignit son cadet dans le silence. Une ombre dans la lumière. Au bord du puits se tenait une silhouette dont la noirceur semblait avoir découpé l’horizon pour s’y placer. « … Bordel. Maman avait raison », termina-t-il en chuchotant.

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21 2. PUITS C’était une nuit où les aurores habillaient le ciel d’un drapé majestueux. Les étoiles et le halo galactique faisaient miroiter la voûte céleste des plus beaux joyaux de la création. Le spectacle aurait pu retenir les deux jeunes durant de longues heures. Pourtant, leur attention était désormais focalisée sur une seule et unique chose : s’approcher de l’Homme-ombre et tenter d’échanger avec lui ne serait-ce qu’un regard. Ils avancèrent prudemment, confiants dans les récits et les histoires anciennes. Celles-ci les décrivaient comme des protecteurs et des bienfaiteurs de l’humanité. Malgré cela, une appréhension toute légitime et une grande émotion retinrent leur pas. Les deux frères courbèrent leur posture instinctivement comme s’ils s’approchaient d’un animal potentiellement dangereux. L’ombre immobile ne semblait pas faire cas de leur présence. En s’approchant, à moins d’une centaine de mètres, celui-ci commença à bouger. Zack et Josh se figèrent. Ils sentirent un trait froid leur parcourir l’échine. L’Homme-ombre glissa doucement vers le puits. Les

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Markind 55 Cancri Ombres 22 deux jeunes, de peur de le perdre de vue, reprirent leur approche en pressant le pas. Soudain, Josh dérapa et tomba au sol. Zack pesta en l’aidant à le relever. « Regarde un peu où tu mets tes pieds ! On va le perdre à cause de toi. Josh lança un coup d’œil dans la direction du puits. — Il est toujours là. — OK. Bon. Ça va ? — Il glisse vers le bord, vite, indiqua Josh en se relevant. — Merde. Accélère. On peut encore l’avoir », s’exclama le grand frère. Les deux silhouettes blanches tentaient de réduire leur écart avec l’Homme-ombre. À quelques dizaines de mètres d’eux, l’entité ne montrait toujours pas d’intérêt à leur égard et continuait à la même cadence son chemin. « S’il entre dans le puits, c’est foutu, clama l’aîné. — Il entre. Il entre. — Merde. — Zack, on doit pas… tu sais, on devrait pas… — Quoi ? On n’a pas fait tout ce chemin pour rien. — Mais, les puits… tu sais, la loi… — On ne craint rien. Et personne ne sait qu’on est là », se justifia Zack. L’être sombre disparut doucement derrière le bord du puits. Les deux jeunes couraient désormais pour le rattraper, sautant légèrement pour enjamber quelques zones accidentées. Josh suivait son frère avec encore l’espoir de toucher du doigt un de ses mythes anciens. Située à des latitudes moins élevées, la nuit commençait tout juste à recouvrir Diop, la petite cité de Parelas-d. Comme les autres lieux d’implantation humaine, elle était en grande partie autonome grâce aux fonctionnements ininterrompus des synthétiseurs et des

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Markind 55 Cancri Ombres 23 recycleurs. Cette technologie héritée de la conquête de Mars avait permis de ne plus dépendre de la faune et de la flore. Ainsi, l’humanité avait quitté le sommet de la chaîne alimentaire. En conséquence, les Hommes dépendaient désormais de ces machines qui leur réalisaient des mets d’une grande qualité nutritionnelle. Cependant, même les modèles les plus avancés de Vard ne pouvaient égaler les plats savoureux servis sur Terre durant la période pré-extra-expansionniste. Malgré tout, ces indispensables infrastructures ne se limitaient pas à la nourriture. L’ensemble des biens et des matériels étaient constitués en leur sein, dès l’instant que l’on détenait le schéma et les ressources nécessaires à leur confection. Ainsi, cette petite société vivait dans un confort raisonné. Et la devise « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » était inculquée dès le plus jeune âge comme la condition sine qua non de la survie de la colonie. Après avoir validé sa présence, l’archiviste récupéra sa commande au centre de distribution avant de retourner, comme après chaque session de travail, dans le logement qui lui avait été affecté des années auparavant. Dans quelques semaines, cela ferait trois années qu’il vivait seul au sein de cette communauté reconnue pour son calme. Non par devoir, mais par choix, il avait écarté toute vie amoureuse pour le moment. Il n’y avait aucune injonction donnée aux archivistes pour pratiquer l’abstinence. En effet, les préoccupations du centre de peuplement parélien étaient bien loin des principes de population issus d’un économiste terrien de l’ère pré-extra-expansionniste, Thomas-Robert Malthus. Pourtant, son quotidien si monotone avait été troublé. Les deux jeunes avaient créé dans sa vie une vaguelette, certes. Mais il craignait par-dessus tout que celle-ci se transforme, tôt ou tard, en une vague scélérate qui viendrait le fracasser contre les devoir de sa caste. Alban Romani avait terminé rapidement sa session de

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Markind 55 Cancri Ombres 24 travail sans rien laisser en suspens. Il s’était arrangé pour s’avancer sur des travaux supplémentaires afin de se dégager un peu de temps. Il était conscient qu’il devrait peut-être en disposer si la situation s’envenimait. Il avait quitté prestement le bâtiment qui recelait une copie du savoir humain pour récupérer sa commande synthétisée à un point de distribution. La boîte contenant son repas du soir à la main, l’archiviste dépassa une ruelle. À la nuit tombante, les allées de Diop prenaient des atours fantomatiques, de nombreux vaporisateurs tournaient à plein régime pour humidifier la petite cité et ses installations. Alban Romani s’arrêta un instant, pensif. Il regarda si l’horaire n’était pas trop tardif. Pourtant, il devait en avoir le cœur net et s’entretenir rapidement avec eux. Rebroussant chemin, il se laissa guider par son pupitre d’information mobile ancré à son poignet. En quelques minutes, il arriva à destination. Il hésita. Puis s’avança vers l’entrée du logement. C’est en qualité d’instructeur de Zack et Josh que l’homme se présenta à leur domicile. Le père des deux frères, Sven Reigh, d’une stature moyenne et aux épaules musclées, le reconnut et l’accueillit chaleureusement. « Salutations Archiviste Romani, en quoi puis-je vous aider ? — Eh bien, d’abord je m’excuse de vous déranger si tard. — Oh, pas de souci. Nous venions de terminer notre repas avec Malia. Pour une fois que l’on ne doit pas attendre Zack et son frère pour manger, lança-t-il sur un ton satisfait. L’archiviste resta immobile un instant, assez de temps pour que son interlocuteur le remarque. — Archiviste Romani… — Oh ! Rien de grave. Je passais à proximité, indiqua l’archiviste en montrant sa livraison. Je voulais juste demander une précision à Zack. Josh avait oublié, semble-

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Markind 55 Cancri Ombres 25 t-il, son sac. Mais, cela peut attendre. Un peu étonné, Sven Reigh enchaîna avec le sourire. — Pas de souci. De souvenir, Josh l’avait bien. D’ailleurs, ça me revient, il l’a pris avant de partir. Ils reviennent demain. Encore merci à vous de les avoir intéressés à ce site d’extraction de la comite. Je ne sais pas comment vous vous y êtes pris, mais ils ne pensaient qu’à cela. Il continua avec la même ferveur. — Et puis, vous savez, entre nous, on les couve trop. Ils ont depuis bien longtemps dépassé la période de Lekia. La luminosité blanche de l’entrée renforçait le visage blême de l’archiviste. — Le site d’extraction de comites… Oui, bien sûr. Je ne vais pas vous déranger plus longtemps. Je vous souhaite une bonne soirée. — Vous de même, Archiviste Romani », lui répondit le père avec un large sourire en refermant doucement la porte, ravi de retrouver le calme de son domicile et enfin de profiter de sa soirée en tête à tête avec Malia. L’archiviste fit quelques pas pour reprendre le chemin de son logement. Derrière lui, les voiles de fine vapeur passaient en rafraîchissant l’atmosphère. Soudain, l’archiviste fit demi-tour en forçant un petit robot d’entretien à l’éviter. Il força le pas pour retourner vers le bâtiment renfermant l’Humania de Diop. Il s’approcha d’un recycleur et y déposa son colis-repas. Il ne mangerait pas ce soir. Les deux frères se tenaient immobiles devant le gouffre béant. Les amplificateurs de luminosité peinaient à dévoiler la zone au-delà d’une trentaine de mètres. Malgré tout, Zack repéra l’Homme-ombre qui poursuivait lentement son chemin. Faisant sursauter son petit frère, Zack hurla à plein poumon. « Hé ! Attendez-nous. On veut juste vous voir de plus

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Markind 55 Cancri Ombres 26 près. » L’Homme-ombre sembla s’arrêter un instant. Il pivota. Mais il était presque impossible de deviner s’il se présentait de face ou de dos. « Il m’a entendu. On y va, Josh. » Zack enjamba le monticule et avança prudemment sur une petite zone qui semblait praticable. Josh, ne souhaitant pas rester seul, le suivit aussitôt. Zack accrocha un petit piton à la paroi et y passa un filin pour les assurer. Il enfila la ligne de vie dans les boucles de sa combinaison et donna l’extrémité à son frère, qui l’imita avec un peu de maladresse. L’Homme-ombre continuait à avancer en direction du fond du puits. Zack, craignant de le perdre, commença la descente. « Zack, on devrait pas. C’est un chemin de l’ombre. On doit pas y aller. La loi de Lekia dit… — Écoute, Josh. On n’est plus à l’âge de Lekia. On est grands et on va aller voir l’Homme-ombre. — Mais, il va bientôt atteindre les algues… — Nous aussi. Même si on ne le rattrape pas, on verra au moins son monde. — Le monde de Parelia ? — Oui. C’est pas vraiment l’Homme-ombre qui m’intéresse. Je veux voir par où il passe. — Pourquoi tu ne l’as pas dit avant ? — Bah, tu ne serais jamais venu sinon, froussard, » conclut Zack. Les deux jeunes reprirent leur chemin, le cœur battant à une cadence infernale. Le grand frère ne lâchait pas des yeux la forme sombre. Il poussa au maximum la vision nocturne de ses lunettes. Il crut voir dans la tête sombre un visage. Dans ce monde de ténèbres, le peu de lumière prenait des atours fantastiques. Les données du pupitre ne pouvaient être plus précises.

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Markind 55 Cancri Ombres 27 L’archiviste Romani jouait à rebours la consultation des deux jeunes dans le bâtiment de l’Humania. Ces informations étaient sans équivoque. Les garçons étaient sur la piste d’un Homme-ombre. Celui-ci n’avait pas été identifié par la personne à l’origine de l’observation. De toute manière, quel qu’il soit, l’apparition d’une de ces entités n’était pas à prendre à la légère. Ce point se confirmait. Les autorités de Vard avaient déjà été mises au courant dès les premières heures de cette rencontre fortuite. L’information n’aurait pas dû fuiter si facilement et entrer en possession d’adolescents bien trop jeunes pour en mesurer l’importance. L’archiviste devait se faire une raison. Son devoir était d’en faire part rapidement à sa hiérarchie. Son manque de vigilance serait sûrement mis en évidence et son reclassement vers un poste inférieur ne tarderait pas. Alban Romani avait gravi les échelons un à un depuis son engagement chez les archivistes. Faire partie de cette communauté devait émaner d’une volonté profonde. Outre la formation classique et les spécialisations spécifiques, une phase d’humaniformation était nécessaire. De façon irréversible, son corps et son cortex avaient été subtilement modifiés pour amplifier ses capacités mémorielles. Il y avait un fardeau à porter. Garder à l’esprit en permanence des heures, des jours de vie provoquait, non seulement de fortes migraines les premières années, mais aussi des artefacts psychiques. Les troubles pouvaient se manifester de différentes manières chez les sujets. Alban Romani avait eu des phases de dédoublement de la personnalité, entendu des voix et ressenti de nombreux moments de déjà-vu. Malgré tout, il les avait endurés. De toute manière, une fois la procédure enclenchée, il n’y avait pas de retour possible. Heureusement, elles s’atténuaient avec le temps et la pratique régulière de la délivrance. Avec l’assentiment des autres archivistes-instructeurs, il avait ensuite quitté

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Markind 55 Cancri Ombres 28 les environs de Vard et le centre d’humaniformation pour être affecté à une petite cité près de l’équateur. Il y avait passé quelques années en compagnie de l’archiviste Clindel qui paracheva sa formation. Il fut définitivement envoyé à Diop, bien plus au nord. Depuis, sans heurt, il y occupait la fonction d’archiviste et d’instructeur. Jusqu’à présent, il avait eu peu d’interactions avec Zack et Josh. Ils n’avaient jamais vraiment montré de capacité à lui causer des soucis. D’autres s’en chargeaient. Pourtant, assis dans le fauteuil, la tête pendant en arrière, Alban Romani fermait les yeux pour optimiser ses facultés mémorielles. Il revivait le moment où il avait cueilli les deux jeunes dans le couloir. Il ressentait son laxisme à les laisser partir sans plus de discernement de sa part. Il ouvrit les yeux, releva sa tête. Il pianota sur son PIM pour réserver une petite navette. Il restait une petite fenêtre. Un espace-temps où se glisser pour ne pas perdre la main, comme dans une bonne partie d’un type de jeu apparaissant sur le premier vaisseau mère Markind : le Lockace. Prudemment, Josh et Zack avançaient le long d’un espace pas plus grand que le passage d’un homme. Le dos collé à la paroi, le plus jeune était en tête. Son grand frère assurait la progression en surveillant la ligne de vie et en plaçant dans la paroi des fixations. Les deux frères cheminaient lentement. Ils n’étaient absolument pas initiés à l’escalade et autres activités de montagne. D’ailleurs Parelas-d n’offrait aucun défi de taille à des alpinistes chevronnés. Les rares monts ne dépassaient pas quelques centaines de mètres. En revanche, les puits paréliens pouvaient donner lieu à de véritables expéditions. Cependant, les lois en vigueur sur l’astre interdisaient toute activité humaine. Une seule était permise : rejoindre Parelia.

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Markind 55 Cancri Ombres 29 En effet, les mourants et ceux atteints de maladies incurables avaient le droit d’emprunter un « Chemin des ombres ». Le rituel n’avait pas changé depuis des siècles, depuis les premiers colons humains de cette planète. Trois puits paréliens étaient dédiés à cette pratique. Sans surprise, le plus utilisé se trouvait à proximité de Vard. Devant eux, l’Homme-ombre n’était presque plus discernable parmi les algues noires. Elles aussi semblaient absorber le peu de lumière projetée par les équipements des deux frères. « Bon bah, je crois que c’est foutu. Il va rentrer dans les algues, annonça Josh. — Ouais. Avance quand même. Je veux les voir de plus près. — Moi, je pense qu’on devrait remonter. J’ai peur, Zack. — Ne t’inquiète pas. Tu sais bien qu’elles sont inoffensives. On peut les traverser sans problème. J’en suis sûr. — Mais, on n’y verra rien. — On a nos lumières, répliqua Zack en tapotant celles qu’il avait sur les épaules. — Non. Moi, je reste là. — Josh. On avance juste sur quelques mètres. Si ça devient trop compliqué, on remonte. — Non. Je veux pas. — OK. Mais moi. J’y vais. Colle-toi à la paroi. Je vais passer devant », termina Zack en commençant à le dépasser. Dans le puits parélien, quatre faisceaux lumineux fendaient les ténèbres en se mouvant au rythme des deux frères. Le cercle sombre presque parfait ressemblait, depuis les cieux, à la gueule béante d’un animal endormi.

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30 3. EFFONDREMENT Plongés dans la nuit, les paysages paréliens restaient indiscernables pour l’archiviste Romani. Il avait décollé de Diop depuis à peine plus d’une heure. Une fois passée la zone de transit, il engagea la pleine puissance des propulseurs. Son inquiétude grandissait à mesure qu’il se dirigeait vers le site d’extraction de la comite. Avaient-ils rencontré l’Homme-ombre ? Avaient-ils été assez maladroits pour questionner le personnel du site ? Assez pour éveiller des soupçons et contacter les autorités ? Les lois étaient claires. Depuis les dernières interactions avec les colons, les Hommes-ombres les avaient invités à ne plus faire appel à eux. En effet, une fois l’humanité fermement enracinée sur Parelas-d, pour assurer un développement correct de cette toute jeune société, il était préférable qu’ils disparaissent et qu’ils rejoignent Parelia. Ainsi, il était formellement interdit de rentrer en contact avec eux. Les « Chemins des ombres » étaient la seule exclusion. Les mourants y étaient menés, déposés seuls, légèrement sédatés à l’abord du gouffre. Les agents quittaient les lieux. Quelque temps plus tard, en l’espace

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Markind 55 Cancri Ombres 31 d’un battement de paupières, ils disparaissaient. Les agents revenaient sur place plus tard pour récupérer les potentiels effets personnels, affaires ou appareils médicalisés pour les recycler. Pourtant, cette récente observation de l’Homme-ombre avait secoué les plus hautes instances paréliennes. Pourquoi une ombre était apparue ? Quelle menace l’avait fait remonter ? Pour les membres du conseil, c’était devenu un point important sur lequel ils devaient porter toute leur attention. La colonie humaine sur Parelas-d était bien trop jeune pour traverser des crises d’envergure. Et à vrai dire, ils n’en avaient jamais connue depuis la disparition des Hommes-ombres. Que risquaient de déclencher les deux jeunes ? Quoi qu’il advienne, l’archiviste Romani en porterait la responsabilité. Une sueur froide le parcourut. La simple crainte se muait lentement en une peur terrible. Il imaginait le possible, l’impossible, l’irrationnel. D’un seul coup, Alban Romani se redressa sur son siège et coupa le pilote automatique. En quelques secondes, il annula son plan de vol initial vers le site d’extraction de comites, sans invalider son arrivée. Il verrouilla sa nouvelle destination sur un destin qu’il voulait reprendre en main. Quoiqu’il en coûte. Le responsable de la station de navette du site d’extraction n’avait pas l’habitude des visites. Ces derniers jours, les plans de vol déclarés dépassaient en nombre ceux de l’année passée. Toute la journée il avait préparé une des pistes. La plus grande, celle qui accueillait des navettes imposantes et nécessitait une maintenance différente des plus petites. Il y passerait encore plusieurs heures, rien qu’à réviser des procédures qu’il n’avait pas appliquées depuis des lustres. À l’aube, une délégation vardienne était attendue. Leur récent

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Markind 55 Cancri Ombres 32 intérêt pour le site l’interpella. Et puis cette demande arrivée au dernier moment, depuis Diop, cela en faisait trop. Il décida de contacter le responsable du site. D’une action sur son PIM, le visage de son supérieur s’afficha devant lui. « Salutations. Un problème à la station ? — Je voulais m’entretenir avec toi, Tomas. C’est quoi tout ce monde ? On devient une zone touristique ou quoi ? Je viens d’avoir encore une validation de plan de vol à effectuer. — J’en sais rien. Je peux juste te dire que ce n’est pas le site en question qui intéresse Vard. Ils n’ont pas voulu m’en dire plus. — Le dernier, ça ne venait pas de Vard, mais de Diop. Bon. De toute façon, ça ne m’avance pas plus. Je vais rappeler un technicien pour préparer la petite piste. J’en connais un qui va encore râler. — De Diop ? Encore ? Au fait, les deux jeunes sont revenus ? — Ah non. Je n’ai reçu aucune notification d’approche. — OK. Pourtant, ils devraient être rentrés. Je vais voir de mon côté. En même temps, les jeunes doivent profiter un peu de la vue nocturne du site de loin. Je devrais aussi refaire un tour le soir avec les aurores, c’est vrai que c’est magique. Tu as d’autres questions ? demanda Sverson. — Non, non. C’est bon, répondit son subordonné qui ne souhaitait pas éterniser la discussion. — Très bien », termina le responsable du site, coupant la communication. Il se dirigea vers la baie vitrée de ses quartiers. Il réduisit fortement l’éclairage de la pièce, malgré la luminosité du site, les aurores remplissaient les cieux de leur lente danse majestueuse. Qu’est-ce qu’ils fabriquent, ces deux-là ? s’inquiéta-t-il soudain. Les récits et histoires qui avaient nourri l’imaginaire

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Markind 55 Cancri Ombres 33 de Zack mentaient. La réalité était bien plus fabuleuse. Sous l’effet de ses petits projecteurs, les algues scintillaient légèrement à l’extrémité de leurs innombrables appendices. Elles n’étaient pas figées et reculaient à mesure qu’ils les approchaient. Le jeune homme voulait sentir leur texture, mais à chaque fois qu’il avançait la main elles se rétractaient. Il essaya d’en saisir un brin d’un geste rapide. Impossible, elles semblaient avoir la faculté d’anticiper tout mouvement de sa part. Zack se retourna vers son frère, resté immobile quelques mètres au-dessus de lui. « Josh, on va pouvoir avancer un peu. Elles reculent. — Non. Moi je reste là, répondit son petit frère, catégorique. — Allez, viens. Avance encore un peu. Et si on trouve rien de nouveau, on remontera et on essaiera de revenir un autre coup. — Juste un peu, alors. Pas plus. — Juste un peu. — OK », répondit Josh en reprenant la descente. Le chemin ne semblait pas se rétrécir et rassurait par sa solidité. Bien qu’étroit, on aurait pu croire qu’il avait été façonné dans la roche parélienne des millénaires auparavant par une immense vis sans fin, et n’avait pas bougé depuis. Malgré tout, Zack, rejoint par son frère, fixa de nouveaux pitons de sécurité. Lentement, ils progressaient vers un monde plein des promesses que leurs parents et ancêtres leur avaient contées. Les voyants et messages qui s’affichaient sur les pupitres de la petite navette de l’archiviste Romani étaient clairs. Il devait réduire la sollicitation des propulseurs principaux. S’il n’obtempérait pas, les systèmes automatisés prendraient le relais pour ramener les indicateurs dans des zones plus clémentes. Alban Romani prenait ces alertes comme de nouvelles barrières qui se

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Markind 55 Cancri Ombres 34 dressaient contre sa volonté. Cependant, après quelques minutes, il réduisit sa vitesse et surveilla les courbes et graphiques qui s’assagirent, passant dans des tons de couleurs moins jaunes et rouges. L’archiviste vérifia sa position. Il arrivait enfin au puits parélien. Il avait réussi, en poussant la navette dans ses retranchements, à gagner plusieurs dizaines de minutes. Assez de temps, selon lui, pour arrêter les deux jeunes et les ramener à la raison. Dans quelques heures, tout reviendrait à la normale. L’affaire serait passée presque inaperçue. L’instructeur-archiviste aurait juste rejoint deux de ses élèves sur le site d’extraction de comites. On aurait même pu penser qu’il faisait du zèle. De retour en mode automatique, la navette entama deux cercles avant de se positionner silencieusement au sol près de l’engin de Zack et Josh. Mis en lumière par ses projecteurs, un léger voile de poussières se leva à l’instant où les récepteurs stabilisèrent le véhicule. L’archiviste Romani coupa les systèmes principaux, désengagea la sécurité et ferma sa combinaison. La nuit parélienne recouvrait de nouveau les lieux. Il se leva, se retourna en lissant par réflexe, sa combinaison au niveau de l’épaule droite, dépassa son siège et descendit par la petite soute située à l’arrière. Il ajusta ses amplificateurs de luminosité et parcourut méticuleusement les alentours. Il crut à deux reprises les voir, mais il s’agissait de paréidolies, ces petits jeux du cerveau qui nous poussent à voir des choses connues dans de simples formes. Il se fit une raison : aucun signe de présence des enfants à la surface. L’archiviste Romani sentait un stress qui se transformait en colère. Celle-là même qu’un parent peut ressentir lorsqu’un enfant désobéit sciemment, inconscient des impacts de son comportement. L’archiviste avança d’un pas décidé vers le bord du puits.

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Markind 55 Cancri Ombres 35 Zack en était persuadé ; s’ils poursuivaient leur périple, les algues les laisseraient avancer jusqu’aux entrailles de Parelas-d. Le monde enfoui de Parelas-d était là, derrière. Pourtant, il devait se faire à l’idée que ce ne serait pas pour cette nuit. Il ne savait pas encore combien de kilomètres ils devraient parcourir. Les pitons commençaient à manquer. Zack ne pensa pas à toute la logistique que nécessitait une telle percée en des lieux inconnus et potentiellement risqués. Seul le manque de pitons pour assurer leur descente le ramena à la raison. Il marqua une pause et se retourna vers son frère. « Bon. Tu vas être content. On rentre. — Oui. Je préfère ça. De toute façon, on l’a vu de nos yeux. C’était déjà génial, répondit Josh, soulagé, qui tournait par réflexe dans sa main un pendentif accroché autour de son poignet. — Oh. Arrête de jouer avec ça. Tu vas encore casser la chaîne. Et j’ai pas envie de chercher ta marque partout », lui intima Zack. Josh s’exécuta et commençait déjà à rebrousser chemin, quand il fut retenu par sa ligne de vie. Il déclipsa rapidement pour faire passer le filin et tenta de le raccrocher à sa sangle sans succès. Zack, voyant son frère, lui fit un signe de la main pour lui demander d’attendre qu’il arrive à son niveau. Soudain une voix forte et sourde, semblant sortir de nulle part, retentit dans le puits, les faisant sursauter. Josh perdit l’équilibre, glissa sur le sol. Zack resta figé et regarda la scène. Il vit dans les yeux de Josh la peur mêlée à l’incompréhension. Puis le corps de son jeune frère bascula dans les ténèbres. En quelques secondes, sa vie n’était déjà plus celle d’avant. Il hurla à plein poumon. Et les parois firent écho à son désespoir, à l’unisson. Tout en haut, l’archiviste Romani ne vit pas la chute de Josh, il ne

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Markind 55 Cancri Ombres 36 vit pas Zack agenouillé, le regard scrutant désespérément le puits sans fond. L’archiviste instructeur ne put voir Josh gisant au sol des dizaines de mètres plus bas, inaccessible, dont la respiration lente laissait penser à une vie qui ne s’était pas encore éteinte. Pourtant, il comprit que son autorité maladroite avait tué. Une fois passé le moment du choc, l’archiviste Romani hésita à repartir du puits. Les mains tremblantes, il tapota nerveusement sur son PIM pour engager les systèmes de sa navette. Puis, les cris de désespoir de Zack dépassèrent enfin ses tympans pour être acceptés par son cortex. Il bredouillait des phrases inintelligibles où étaient mêlés remords et résignation. Il se pencha de nouveau dans la gueule béante du puits. Une bonne cinquantaine de mètres plus bas, Zack toujours à genoux appelait son frère. L’archiviste commença à descendre après s’être assuré à la ligne de vie. Il essayait de ne plus faire attention aux appels du jeune homme qui lui vrillaient les tympans et l’âme. Sa cervelle était en ébullition, cherchant une échappatoire à ce triste tableau. Il craignait une réaction violente de la part de Zack. Il hésita et marqua une pause. Zack ne l’avait toujours pas remarqué. Il se baissa pour attraper une grosse pierre. Ses murmures inintelligibles reprenaient. Ils prenaient la teinte d’une détermination. Il fallait en finir vite. Il devait agir rapidement avant que Zack reprenne un minimum conscience de sa situation. Son bras était crispé, sa main recelant la si simple solution à ses problèmes lui faisait mal. Il avait presque dévalé sur les fesses les derniers mètres. Il serrait les dents pour ne pas laisser s’échapper des paroles traîtresses. Zack tourna la tête et le regarda, les yeux vidés d’espoir. « Archiviste Romani ? Josh. Josh est tombé. La voix ! La voix l’a tiré.

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Markind 55 Cancri Ombres 37 Un arc électrique parcourut l’archiviste. Un éclair de lucidité. Une fulgurante idée. — La voix de l’ombre, Zack. La voix de l’ombre a pris ton frère », lança l’archiviste. Zack le regarda et un flot de larmes inondèrent son visage d’adolescent. Romani lâcha la pierre et tendit sa main vers le frère survivant. « Nous devons quitter le chemin de l’ombre avant qu’il ne vienne pour nous. Josh ne souffre plus. L’ombre l’a pris », déclara solennellement l’archiviste Romani. Zack hésita, regarda les ténèbres. Il pleurait. Il attrapa la main salvatrice et se laissa guider vers l’entrée du puits. L’archiviste remarqua les algues reprendre leur position au fur et à mesure de leur avancée, comme si elle venait refermer un tombeau. Marchant sans réel but dans ses quartiers, le responsable du site était dans tous ses états. À peine reçu le message de l’archiviste, Tomas Sverson lança une équipe de secours. Il n’allait pas y participer. Sa présence sur le site du puits parélien était superflue. Il préférait commencer tout de suite à préparer sa défense. Ce tragique accident ne devait pas remettre en cause tant d’années d’efforts. Le site d’extraction de comites n’avait jamais connu d’accident d’ampleur, mais la disparition du jeune homme même dans une zone distante allait entacher l’endroit d’un voile funeste. La délégation vardienne lui poserait sûrement un grand nombre de questions, auxquelles il ne savait pour l’instant quoi répondre. Qui avait exactement envoyé ces jeunes ici ? Pourquoi ne pas les avoir rappelés à l’ordre après tant de temps d’absence ? Tomas Sverson restait sans voix sur ces interrogations. Bien loin des considérations du responsable du site d’extraction, l’archiviste Romani ne savait pas comment

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Markind 55 Cancri Ombres 38 se conduire dans une telle situation. Debout dans la petite soute de la navette, regardant sans voir ce qui s’affichait sur un des pupitres de contrôle, il attendait les secours qui ne tarderaient pas. À quelques mètres de l’archiviste, Zack restait prostré dans le siège de sa navette. Ses pensées étaient confuses. Sa main gauche le faisait souffrir. Il n’aurait su dire pourquoi elle était crispée. Doucement, il desserra les doigts et vit le pendentif de Josh et sa petite chaîne brisée. C’était sa marque de Lekia. Un petit bijou offert au troisième anniversaire d’un enfant. Des images de son jeune frère firent leur apparition. Il n’acceptait pas les récents événements. Une haine profonde naquit au plus profond de lui. Les algues, les Hommes-ombres, Parelia, tous ces beaux contours qu’on lui avait inculqués dès son plus jeune âge volaient en éclats. Désormais, il comprenait mieux les interdits. Il hésita à lancer la marque de Josh. Pourtant, c’était tout ce qu’il restait de lui. Il resserra ses doigts dessus, ignorant la douleur de sa main blessée. Les chemins des ombres, les Hommes-ombres, la voix de l’ombre lui avaient infligé une douleur qu’on ne pourrait jamais soigner. Pour lui désormais, le danger pour l’humanité résidait dans les entrailles de Parelas-d et son frère y reposait. Sans attendre, l’équipe de secours administra de puissants sédatifs à Zack. Le jeune homme ne protesta pas un seul instant, déjà assommé par la perte de son frère. Deux hommes le transportèrent tranquillement en dehors de l’engin de l’archiviste. Une fois Zack en sécurité dans la navette dont les éléments médicalisés avaient été déployés, deux autres sauveteurs accompagnèrent l’archiviste pour tenter de repérer le plus jeune des deux frères. Après une rapide descente, le constat était sans appel : il était impossible de sonder les algues qui avaient repris leur position initiale. Elles ne reculaient plus devant

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Markind 55 Cancri Ombres 39 l’avancée des humains. Les lois étaient claires, il était formellement interdit de progresser dans un puits parélien et elles se matérialisaient devant eux. Il était évident qu’ils ne pourraient retrouver le garçon qui devait se reposer bien plus bas sur le chemin de l’ombre. Dans le magnifique spectacle des aurores boréales, les trois navettes, dont deux en mode automatique et sans passager, décollèrent en douceur de la zone. Illuminé par l’éclairage de la navette de secours, un léger nuage de poussière se déplaça au gré de la froide brise qui annonçait l’aube. Depuis le puits parélien, l’échappement des tuyères des propulseurs ressemblait à trois fades étoiles. Une ombre les regardait filer vers leur destin au milieu du tableau céleste dont il ne se lasserait jamais.

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41 À PROPOS DE L’AUTEUR Des romans de science-fiction, j’en ai englouti un bon nombre durant une bonne partie de ma vie. Des premiers livres qui ont bercé mon adolescence aux cycles de livres demandant un bagage de vécu plus conséquent pour les savourer, ils ont su emplir mon imaginaire de mondes merveilleux. J’ai décidé de me lancer à mon tour. Ainsi naquit dans mon esprit la saga Markind. Vous trouverez sûrement des références, explicites ou non, à de grandes œuvres de la science-fiction, du Space Opera et du Planet Opera. Des références ? Bien sûr, comme toutes les autrices et tous les auteurs, résident en moi les histoires d’Isaac Asimov, de Frank Herbert, de Dan Simmons, d’Arthur C. Clarke et de bien d’autres. Mais ce sont surtout les petits gestes du quotidien, l’actualité, l’écologie, les découvertes scientifiques et technologiques qui ont, et continueront, d’alimenter mes romans. Avec ces romans et les nouvelles de l’univers de Markind, j’ai voulu offrir une science-fiction accessible au plus grand nombre. Par le site markind.fr , et sa partie blog, j’ai souhaité être au plus près de mon lectorat. Car oui, une saga, à mon avis, doit aujourd’hui, se nourrir en grande partie des attentes de ses lecteurs. Et moi ? Humain mâle vivant sur la planète Terre. Je suis né en 1978, je vis dans la belle ville de Dieppe en Seine-Maritime.

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Présentation de la saga

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